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Extrait de :

"Ethique et Familles" Tome 1, E Rude-Antoine & M Piévic, edit. L'Harmattan, Paris, 2011, p 155-176

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Résumé

Le syndrome d'aliénation parentale, ou S.A.P., est l'embrigadement et/ou la manipulation d'un enfant ou d'une fratrie par un parent contre l'autre, au moment ou après une séparation conflictuelle et a souvent des conséquences irréversibles chez l'enfant. Il se traduit pas huit symptômes caractéristiques que présente l'enfant "aliéné" par le parent "aliénant", dont le profil psychopathologique se rapproche des dépressions et des états limites et qui confond les enjeux émotionnels du lien parental et ceux du lien conjugal. Reconnu dans les pays de l'Europe du Nord comme une maltraitance familiale avérée et pénalement condamnable, ce phénomène est lié, selon les auteurs, à des facteurs de la modernité ayant créé une vulnérabilité accrue de la structure psychologique de la famille moderne, parmi lesquels les recompositions familiales, le déclin de la fonction paternelle ou l'attaque juridico médiatique qu'elle a subie, et la surdétermination accordée aux vécus des victimes. Ce phénomène est encore mal détecté en France, détruit l'équilibre psychique de milliers d'enfants et de parents, et constitue une menace sérieuse à l'institution familiale.

Le syndrome d'aliénation parentale : menace pour la cohésion familiale

Jean-Pierre CAMBEFORT

Psychologue. Docteur en Sciences du Comportement. Habilité à Diriger des Recherches en Sciences de l'éducation

Administrateur de l'Association des Maisons de la Famille de la Réunion.Ecole des Parents et des éducateurs. (AMAFAR-EPE)

Formateur en sciences humaines et sociales. Institut Régional du Travail Social (IRTS)/ Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM)

Résumé

Le syndrome d'aliénation parentale, ou S.A.P., est l'embrigadement et/ou la manipulation d'un enfant ou d'une fratrie par un parent contre l'autre, au moment ou après une séparation conflictuelle et a souvent des conséquences irréversibles chez l'enfant. Il se traduit pas huit symptômes caractéristiques que présente l'enfant "aliéné" par le parent "aliénant", dont le profil psychopathologique se rapproche des dépressions et des états limites et qui confond les enjeux émotionnels du lien parental et ceux du lien conjugal. Reconnu dans les pays de l'Europe du Nord comme une maltraitance familiale avérée et pénalement condamnable, ce phénomène est lié, selon les auteurs, à des facteurs de la modernité ayant créé une vulnérabilité accrue de la structure psychologique de la famille moderne, parmi lesquels les recompositions familiales, le déclin de la fonction paternelle ou l'attaque juridico médiatique qu'elle a subie, et la surdétermination accordée aux vécus des victimes. Ce phénomène est encore mal détecté en France, détruit l'équilibre psychique de milliers d'enfants et de parents, et constitue une menace sérieuse à l'institution familiale.

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1-Evolutions et bouleversements familiaux de la modernité

Dans les sociétés post industrielles, le mot "famille" ne s'énonce presque plus au singulier, tant sont nombreuses les formes d'organisation de ce que l'on nommait avant "la" famille. On observe en effet une transformation considérable de la morphologie familiale. Comme le fait remarquer J H Déchaux (2007), plusieurs facteurs interviennent au service de son remodelage : la cassure ou le dépérissement de la famille "traditionnelle" (composée d'un couple marié, des enfants et d'une épouse inactive), le recul du mariage qui perd du terrain depuis trente ans, l'émergence d'une sexualité préconjugale, la disparition des "mères au foyer", la banalisation du divorce. Des nouvelles formes de vie conjugale et familiale sont pratiquées abondamment : la cohabitation hors mariage, la multiplication des familles monoparentales et recomposées, et l'augmentation de la vie solitaire. Ces nouveaux modèles d'organisation sont autant de différentes manières de "faire couple". Ces modifications des modèles ancestraux de la cellule humaine de base, appelée famille, ont été rendues possibles par la montée des valeurs individualistes, les revendications d'autonomie faisant du consentement le critère suprême de légitimité, et le libre choix du conjoint. En même temps que les choix et les valeurs individuelles se sont sacralisées en s'opposant aux traditions groupales et aux pressions normatives, l'ordre symbolique générationnel déterminé par la verticalité tutorale qui s'impose des aînés aux puînés, s'est progressivement rétréci (Eliacheff, C & Soulez D, 2007). Les nouvelles formes de parenté et de filiation permettent des recompositions identitaires et fantasmatiques qui peuvent modifier l'identité individuelle. Ces tendances s'installent, en même temps qu'elles les produisent, sur deux phénomènes sociaux et juridiques qui s'accentuent et s'accélèrent à la fin du XXe siècle: l'affaiblissement de la place et du rôle éducatif du père avec, comme corollaire, l'augmentation du pouvoir légal des mères, et les transformations radicales des droits de la famille (Hurstel F. 2002). Désormais, les rôles et places entre parents et enfants dans les familles relèvent plus souvent d'une âpre négociation que d'un ordre établi par les relations générationnelles et la symbolique qui y est attachée. La "culture médiatique" nourrit le sens commun de l'idée que l'expression des désirs individuels, des émotions - voire des pulsions- exprimées à l'état brut, constitue le moyen moderne de communiquer, inspirée de l'idéologie égalitaire qui ferait de la famille une "démocratie" revendiquée et légitime, où tout est mis au débat et où se perdent la symbolique de la loi et des transmissions.

Bouleversement éducatif et psychologique pour l'enfant, la séparation des parents n'est plus soumise qu'à l'arbitraire ou à la négociation des deux conjoints quant à la structure de la nouvelle famille, ou à l'arbitrage des juges qui en viennent à être sollicités de plus en plus. De pyramidale et hiérarchisée sous l'autorité juridique du père, la famille devient égalitaire et nogociée au nom de l'évolution des moeurs, des valeurs égalitaires, et de l'émancipation des femmes et des mères par rapport aux structures ancestrales. Or les mères acquièrent très rapidement un pouvoir croissant, surtout en ce qui concerne l'attribution de la garde de l'enfant par les tribunaux qui, dans l'immense majorité des cas, leur accorde ce droit comme une priorité. Comme le remarque F Hurstel (op cité p 121) "on peut parler d'un pouvoir légal des mères et même d'exclusion légale des pères". Un déséquilibre des images et des rôles parentaux s'installe irrémédiablement, et la place du père est subordonnée à l'hypothétique équilibre psychique des mères, supposées capables, comme le dit J Lacan (1956) de "faire un cas de la parole du père, disons le mot, de son autorité, autrement dit de la place qu'elle(s) réserve(nt) au Nom-du-père dans la promotion de la loi".

La loi sur l'autorité parentale partagée place, dès les années soixante dix, les deux parents en position d'égalité décisionnelle et relationnelle vis-à-vis des enfants. Elle obéit à un principe de "présomption simple" (art.372-2) et signifie que l'accord de l'autre parent absent est présumé. Cela sous entend, sur le plan psychologique, "des relations entre sujets responsables et respectueux de la parole d'autrui" (Hurstel, F, op cité p 119). Or cette nouvelle donne, louable sur le plan moral au nom des principes égalitaires, trouvera en revanche beaucoup de mal à s'appliquer dans la réalité des séparations et des divorces, en augmentation croissante depuis les deux dernières décennies. L'esprit de la loi de 2002 en France qui instaure la garde alternée, établit du même coup, dans cette possible égalité du temps de vie de l'enfant auprès des deux parents, l'abolition d'une forme de monopole, ou de priorité, parental(e) attribués autrefois aux mères. La garde alternée, homologuée consensuellement par les tribunaux dans la majorité des cas, peut être ordonnée par les juges en cas de litige à la suite d'une procédure contradictoire. Elle est, dans ces cas de figure, majoritairement demandée par les pères qui font valoir leurs droits à élever leurs enfants au même titre que les mères. Les pères qui, pendant longtemps, se contentaient d'un week-end sur deux quand ils ne prenaient pas une distance dramatique avec leur progéniture, furent de plus en plus nombreux à se poser en concurrents sérieux des mères quant à l'éducation au quotidien de leurs enfants, ce qui préparait pour ces derniers un terrain psychologique fortement instable et favorable à un processus d'aliénation.

Perte de repères ancestraux, recompositions familiales multiples, horizontalisation de la structure conjugale et familiale, affaiblissement de la verticalité tutorale des relations parentales, montée en puissance du pouvoir des mère et éviction des pères, constituent les éléments sociaux et juridiques qui vont fragiliser le devenir de l'enfant et ses fondements identitaires. Malgré le souci égalitaire qui inonde l'appareil législatif et qui bouscule les structures culturelles ancestrales, hiérarchisées et autoritaires, l'enfant devient un enjeu de plus en plus puissant des séparations familiales. Le législateur et les professionnels de l'éducation le considèrent comme un sujet en danger, qu'il faut protéger au nom de son "intérêt". Et c'est précisément toute l'appréciation subjective de cet "intérêt" qui fera l'enjeu des séparations conflictuelles et de l'installation possible (mais fort heureusement pas systématique) du syndrome d'aliénation parentale.

2- Le SAP, syndrome psychopathologique dévastateur

a- Description

On attribue l'origine de la notion de "syndrome d'aliénation parentale", ou S.A.P. (en anglais : Parental Alienation Syndrome) au pédopsychiatre américain Richard A. Gardner (1985 ; 1992a). Selon cet auteur, ce syndrome est "un désordre qui survient presque exclusivement dans le contexte de disputes sur la garde de l'enfant. Sa manifestation principale est la campagne de dénigrement injustifiée que fait l'enfant contre l'un de ses parents. Il s'agit là du résultat de l'action combinée de l'endoctrinement de l'enfant par un parent (lavage de cerveau) d'une part, et de la contribution de l'enfant lui-même au dénigrement du parent-cible, d'autre part. Lorsqu'il y a réellement de l'abus ou de la négligence parentale à l'endroit de l'enfant, cette animosité de la part de l'enfant peut être justifiée, et l'explication de l'hostilité de l'enfant par le syndrome d'aliénation parentale ne s'applique pas ".

À l'intérieur même de cette définition, trois éléments ressortent comme nécessaires à l'existence du phénomène SAP :

- le rejet et/ou le dénigrement systématique et persistant d'un parent par l'enfant;

- cette "campagne" de dénigrement n'est pas justifiée par le comportement du parent ciblé qui n'est pas l'auteur d'abus ou de négligence à l'endroit de l'enfant et qui n'a démérité en aucune façon de son rôle parental;

- ce phénomène résulte partiellement de la programmation ou de l'endoctrinement de l'enfant par un "parent aliénant". En outre, ce processus survient presque exclusivement dans le contexte d'une séparation conjugale impliquant des conflits sur la garde de l'enfant.

Gardner précise que dans le SAP, les attitudes et les idées négatives affichées par l'enfant, attisées chez lui par le "parent aliénant", sont en contraste manifeste avec celles qui prévalaient à l'égard du parent-cible avant la séparation. L'auteur indique aussi que la contribution particulière de l'enfant au dénigrement du parent-cible est renforcée par le parent aliénant, ce qui la consolide et en augmente la probabilité d'apparition. De façon plus ou moins subtile, l'enfant est ainsi entraîné à dénigrer son autre parent et il en obtient des avantages auprès du parent avec lequel il passe la majorité de son temps.

D'après Gardner (1992a op cité) les huit manifestations symptomatiques, qui sont en même temps des "critères décisionnels" chez l'enfant, sont les suivants:

1- Une campagne de dénigrement (diffamation)

L'enfant médit continuellement l'autre parent, dit le haïr et ne plus vouloir le voir :

"Je le déteste, et je ne veux plus le voir de toute ma vie".

L'enfant crée une distinction entre les objets (notamment les jouets) en provenance de la maison du parent aliénant et ceux du parent aliéné. Ces derniers ne sont plus ramenés dans la maison du parent aliénant, car l'enfant les considère comme "contaminés".

2- Des rationalisations faibles, frivoles, et absurdes

L'enfant donne des prétextes futiles, peu crédibles, ou absurdes pour justifier sa dépréciation du parent aliéné. Cette hostilité est non crédible, car non reliée à des évènements significatifs : "Il fait du bruit en mangeant", "Il me parle de foot", "Il m'oblige à sortir les déchets", "Il n' y a jamais de lait pour mes céréales".

L'enfant peut se référer à des altercations mineures et passées avec le parent aliéné :

"Il criait très fort quand il me demandait de me laver les dents".

Généralement, le parent aliénant considère ces rationalisations comme valables et en renforce le pouvoir accusateur.

Parfois, l'enfant ne donne pas de raisons du tout :

"C'est ainsi, je le sais".

3- Une absence d'ambivalence

Un parent est adoré par l'enfant, l'autre haï. L'enfant est absolument sûr de lui et son sentiment exprimé à l'égard du parent aliéné est sans équivoque : c'est de la haine :

"Mon père est le plus mauvais du monde; il me pourrit la vie".

Lorsqu'on l'interroge, l'enfant n'a aucun souvenir d'interaction positive avec le parent aliéné.

4- Le phénomène du "penseur indépendant" (ou du penseur libre)

Il s'établit un consensus sur le fait que le rejet vient de l'enfant. L'enfant aliéné ne reconnaît jamais qu'il a été l'objet d'une influence.

L'enfant dira "C'est ma décision de ne plus aller chez papa".

Le parent aliénant se range à l'avis de l'enfant qu'il prend au premier degré : "Je veux bien qu'il aille chez son père mais c'est lui qui ne veut pas. Et je vais me battre jusqu'au bout pour que mon enfant soit respecté".

5- Un soutien indéfectible au parent aliénant

L'enfant prend la défense du parent aliénant dans le conflit, se perçoit comme un soutien au parent gardien, qui serait "persécuté" par le parent aliéné. Il devient son "petit soldat". Par exemple, il volera de sa propre initiative des documents appartenant au parent aliéné, qu'il ramènera au parent aliénant.

6- Une absence de culpabilité

L'enfant n'éprouve (en apparence tout au moins) aucune culpabilité par rapport à la mise à mort du parent aliéné. Ce processus est plus actif que le manque d'ambivalence. On observe une coloration sadique : Plus il y a de symptômes, plus le niveau de gravité du PAS augmente (léger, modéré, sévère).

"Je suis bien débarrassé depuis que je ne le vois plus" ; "C'est bien fait pour lui" ; "Ça ne me sert à rien de le voir".

7- Des scénarios empruntés

L'enfant relate des faits qu'il a manifestement entendu raconter. Il emploie un langage d'adulte emprunté au parent aliénant (voire au grand-parent aliénant).

À six ans, il dira : "Il a demandé la baisse de la pension alimentaire" ; "Elle m'importune tout le temps" ; ou "Elle viole ma vie privée", "Il vit sur son passé"

8- Une animosité étendue à l'ensemble du monde du parent aliéné

L'enfant généralise son animosité à l'ensemble du monde du parent aliéné : grands-parents, oncles, cousins, amis,..., mais aussi pays, religion, culture... L'étendue de l'animosité peut même concerner un animal domestique autrefois affectivement investi par l'enfant.

Gardner explique la dynamique psychologique sous-jacente chez l'enfant :

- La crainte de perte du lien psychologique primaire : la peur de perdre l'amour du parent aliénant (souvent la mère) est le facteur principal à l'origine des symptômes chez l'enfant.

- La formation réactionnelle : la haine obsédante n'est qu'une forme déguisée d'amour pour le parent aliéné.

- L'identification à l'agresseur : l'enfant peut s'allier au parent aliénant dans le but de se protéger contre l'hostilité de ce dernier.

- L'identification à une personne idéalisée : l'enfant s'identifie à un parent vu comme parfait.

- La décharge de l'hostilité : le SAP permet à l'enfant de décharger sa colère vis-à-vis de la séparation parentale.

- Le pouvoir : évacuer sa rage donne à l'enfant une impression de pouvoir. L'enfant peut se permettre d'être inconvenant avec le parent aliéné, sachant qu'il est "couvert" par le parent aliénant.

- La contagion des émotions : la rage du parent aliénant se transmet rapidement à l'enfant.

- La rivalité sexuelle : avec un parent de l'autre sexe, l'enfant engage des attitudes de séduction, et désire être en relation unique avec ce parent.

D'après les psychiatres M. Walsh and J.M. Bone (1997) ainsi que D.C. Rand (1997) quatre critères sont à prendre en compte pour confirmer l'installation du SAP:

- Les entraves à la relation et au contact avec le parent aliéné

- Les allégations non fondées d'abus

- La détérioration de la relation depuis la séparation du couple

- Les réactions de peur intense de l'enfant de déplaire ou de contrarier le parent aliénant

b- Conditions d'installation et profils psychologiques

Le syndrome d'aliénation parentale est mis en place par le parent aliénant dont les tendances manipulatrices inconscientes qui dont à l'origine de l'implantation du phénomène, peuvent se trouver dans la conjonction de deux séries de facteurs: les émotions présentes qui accompagnent la séparation d'une part, et la reviviscence d'anciennes angoisses profondes.

Gardner (op.cité) considère que le parent aliénant est souvent surprotecteur vis à vis de l'enfant. Il peut être aveuglé par sa rage ou animé par un esprit de vengeance provoqué par la jalousie ou la colère. Il se voit en victime injustement et cruellement traitée par l'autre parent dont il cherche à se venger en faisant croire à l'enfant que cet autre parent a tous les torts.

Selon J M Delfieu (2005), le divorce ou la séparation ont créé chez le parent aliénant des résurgences de sentiments angoissants de sa petite enfance qui "n'ont effectivement rien à voir avec le partenaire mais qu'il projette sur lui". Ces régressions émotionnelles nourrissent un mélange de sentiments non maîtrisés de colère, de tristesse et d'insécurité extrêmes qui "expliquent l'intensité, voire parfois l'irrationnel du vécu et du comportement" (Delfieu, J M op cité p 28). Certains reproches injustifiés adressés au parent aliéné (ou "parent cible") peuvent être compris comme l'expression de traits paranoïaques chez le parent aliénant, qui génèrent la conviction qu'il doit protéger l'enfant contre l'autre parent, perçu, quoi qu'il fasse, comme dangereux ou mauvais. J L Viaux (1997) considère que le parent aliénant se caractérise par une tendance à l'intolérance, une agressivité manifeste et une appropriation de l'enfant d'autant plus grande qu'il ne peut accepter la séparation du couple. Ces parents sont des "adolescents interminables" fragilisés par la non-résolution des problèmes de l'adolescence et portant en eux une faille narcissique et une peur intense de l'abandon. Ils ont opéré un clivage solide entre leurs carences profondes, qui génèrent une affectivité archaïque, et l'hyperadaptation sociale dont ils doivent faire preuve, souvent sur le plan professionnel.

Ils sont ambivalents vis à vis du parent aliéné, exprimant un désir d'être rassurés par celui ou celle qu'ils ont quitté(e), mais également une aspiration profonde à s'émanciper de lui/d'elle. Le parent aliénant exerce une pression et des reproches permanents; ce faisant, il lutte contre un envahissement dépressif, généré par l'absence du conjoint, dont l'éloignement est perçu comme un abandon. La séparation du couple est vécue de manière extrêmement ambiguë, et l'un de ses traits principaux est l'accumulation des contentieux matériels et surtout psychologique, dont l'enfant est l'enjeu principal. Le parent aliénant s'avère incapable de gérer la rupture, de l'assumer (qu'il l'ait subie ou en ait été à l'initiative) en mobilisant ses ressources affectives et comportementales, et vit une contradiction émotionnelle intense.

La dynamique perverse s'installe rapidement dans les mécanismes relationnels du parent aliénant, au sens que A Eiguer (1996) donne de la perversion narcissique: "Les pervers narcissiques (...) cherchent à faire croire que le lien de dépendance de l'autre envers eux est irremplaçable et que c'est l'autre qui le sollicite". La manipulation perverse a pour effet de détruire la relation parentale et filiale de l'enfant avec le parent aliéné. Le SAP dépasse deux paradoxes. Le premier réside dans le fait que, bien qu'aucun parent ne désire consciemment le malheur de son enfant, le parent aliénant produit néanmoins une souffrance incommensurable exercée au nom de l'"intérêt" de cet enfant. Le second paradoxe tient au fait que l'efficacité du SAP tient à la subtilité du voile de rationalité qui le caractérise. Plus les arguments sont complexes et subtils, plus le parent aliénant assoit sa violence avec légitimité. Le parent aliéné se trouvant diabolisé et fantasmatiquement destructeur du parent aliénant, l'enfant va prendre parti naturellement pour le parent affaibli. Pour obtenir l'adhésion de l'enfant à sa cause, le parent aliénant doit installer une emprise totale sur lui, en jouant de l'alternance subtile entre la conviction de l'embrigadement et une position victimaire. Il procède généralement par trois étapes: la victimisation et la prise à témoin, le conflit de loyauté, et l'aliénation parentale proprement dite.

> La victimisation et la prise à témoin.

Cette étape préalable pose les bases du SAP qui ne peut s'installer sans que le parent aliénant ne se pose en victime de l'autre parent. Dans une société qui "sacralise la souffrance et entretien un rapport quasi religieux à la victime " (Erner, G, 2006) le parent aliénant n'hésite pas à se déchoir lui même de la position de solidité tutorale que l'enfant attend. Sans cette démarche initiale, l'enfant n'aura aucune raison de prendre parti pour lui.

> Le conflit de loyauté

L'enfant est posé devant une situation où il doit choisir "son camp". Cette situation l'oblige à trahir la loyauté envers un parent pour être fidèle à l'autre, et vice-versa. Ce processus enferme donc l'enfant dans un lien de dépendance exclusive et de fidélité à un parent au dépend du lien à l'autre. J L Le Run (1998) note qu'"en écartelant l'enfant entre deux exigences contradictoires (aimer un parent contre l'autre) les conflits de loyauté exposent au choix impossible et à la problématique de la trahison avec son lot de culpabilité".

> L'aliénation parentale proprement dite

Une fois choisi le "bon" parent contre le "mauvais", l'enfant est enfermé dans l'instrumentalisation qui fait de lui le "soldat" d'un parent, enrôlé dans une guerre dont il n'est plus que l'arme symbolique et qui le détruira en même temps que le parent aliéné qu'il devra combattre. Il devient victime d'une violence morale et perverse qui est le résultat d'un harcèlement insidieux et permanent, comme le démontre M F Hirigoyen (1998).

Le parent "endoctrineur" installe le processus en utilisant plusieurs stratégies.

- L'indulgence excessive. Pour séduire l'enfant et obtenir ses bonnes grâces, il se place toujours dans la négociation et la séduction. Il le prend à témoin de sa vie affective (et quelque fois sexuelle) et de ses choix de vie, permettant ainsi à l'enfant d'enfreindre la barrière générationnelle et de prendre un pouvoir qui lui était interdit. L'enfant est souvent "adultifié" et flatté d'une pseudo "maturité" qu'il n'a pas en réalité.

- L'empiétement. Il perturbe le temps de garde alloué à l'autre parent et culpabilise l'enfant en lui exprimant le manque profond qu'il ressent de l'absence de celui-ci. La non -présentation d'enfant est un passage à l'acte couramment pratiqué comme signal de l'installation du SAP.

- La projection. Les sentiments, impulsions et pensées que le parent aliénant ne reconnaît pas en lui-même sont projetées sur le parent aliéné, contribuant ainsi à le diaboliser et le décrédibiliser.

- La rationalisation. Il convainc les autres et lui même qu'il ne fait rien de mal. Sous couvert du "respect des choix de l'enfant" qui souffre d'avoir eu à choisir un parent contre un autre, le parent aliénant se range derrière la parole de l'enfant qu'il prétend respecter.

- Les comportement saboteurs. Il met en place quotidiennement des actions qui distancient le lien de l'enfant avec l'autre parent : refuser de passer les appels téléphoniques, intercepter le courrier et les cadeaux envoyés à l'enfant, présenter le nouveau conjoint comme leur "nouveau" père (ou mère), disqualifier le nouveau conjoint de l'autre parent, refuser d'informer l'autre parent des activités ou projets qui concernent l'enfant, empêcher l'autre parent d'avoir accès aux dossiers scolaires, ou médicaux, "oublier" de prévenir l'autre parent des rendez-vous importants, prendre des décisions importantes sans le consulter ni l'informer, critiquer les objets, vêtements, ou cadeaux achetés par l'autre parent, reprocher à l'autre parent la mauvaise conduite de l'enfant, menacer de punir l'enfant s'il appelle, écrit ou essaye de contacter l'autre parent de n'importe quelle façon, etc.

Le parent aliénant peut aller jusqu'à accuser l'autre parent d'abus de tout type (négligences, physiques, sexuels). D'après les auteurs, les estimations montrent que 80% des allégations d'abus sexuels après la séparation du couple, sont fausses.

c- Effets dévastateurs

L'intensité de ce syndrome se mesure en trois stades: léger, moyen et grave, en fonction de l'accentuation des rejets du parent aliéné.

- Au stade léger, les visites chez le parent aliéné sont calmes et la campagne de dénigrement sont rares ou discrètes.

- Au stage moyen, la campagne de dénigrement s'intensifie au moment du changement de résidence parentale et les arguments sont de plus en plus nombreux et frivoles pour ne pas aller chez le parent aliéné. Mais l'enfant accepte d'être totalement coopératif une fois séparé du parent aliénant, et après une période de transition.

- Au stade grave, les visites sont carrément impossibles chez les parent aliéné et l'enfant partage les fantasmes paranoïaques du parent aliénant. Si l'enfant reste chez le parent aliéné, il peut y être paralysé par des peurs, faire des fugues ou mettre en péril son séjour par des comportements destructeurs.

Au vu des troubles du comportement que le SAP engendre chez l'enfant, on peut mesurer aisément à quel point cette véritable maltraitance psychologique, qui est un "kidnapping d'enfant" (Gagné, M H & Drapeau, S 2005), peut être dévastatrice. Contraint de haïr un parent qu'il a toujours aimé, qu'il aime toujours et dont il a besoin, l'enfant aliéné développe des troubles psychopathologiques ou relationnels comme la dépression chronique, une incapacité à fonctionner dans un cadre psychosocial ordinaire, des troubles de l'identité, un sentiment incontrôlable de culpabilité, un sentiment d'isolement, des comportements hostiles, un dédoublement de la personnalité, ou des troubles toxicomaniaques, comme l'indique M Baurain (2005).

Chez le parent aliéné, les répercussions du SAP sont terriblement destructrices également. La perte de la vie commune avec les enfants, la ténacité du parent aliénant installant, de manière insidieuse, la nocivité quotidienne des actions perverses, induisent souvent les symptômes de la perte d'identité, des troubles psychosomatiques, des dépressions chroniques, ainsi que des passages à l'acte suicidaires ou des mises en danger (accidents, violences réactionnelles). Les effets peuvent également être dévastateurs sur les nouvelles relations conjugales ou sociales du parent aliéné.

3- Prévalence du phénomène, traitements et interventions

J Wallerstein et K Kelly (1980) observaient déjà dès les années quatre vingt, que 19% des enfants du divorce se montraient réticents aux visite du parent non gardien. Et compte tenu de la proportion d'aliénation moyenne ou sévère trouvée dans les cas litigieux, on peut inférer une prévalence maximale de 6,5% d'aliénation parentale moyenne ou sévère dans tous les cas de divorce impliquant des enfants de 0 à 12 ans. Quant au parent se trouvant le plus fréquemment impliqué dans l'instauration du SAP, 75% sont les mères selon les expertises de H Van Gijseghem (2005) par le fait que la mère incarne dans bien des cas le parent aimé, et que les décisions judiciaires lui sont majoritairement favorables en matière de garde d'enfant.

Les remèdes et interventions seront d'autant plus efficaces que le SAP a été détecté officiellement par des expertises le plus tôt possible, et que les interventions judiciaires et thérapeutiques seront ordonnées par les tribunaux avec clarté et fermeté. D Erwoine (2005) n'est pas très optimiste sur l'efficacité de la médiation familiale, dont le fonctionnement est déjoué facilement par la collusion entre l'enfant aliéné et le parent aliénant. La thérapie familiale est la plus recommandée pour éviter au parent aliénant d'exprimer ses sentiments négatifs par le biais de l'enfant. Le thérapeute soutient le parent aliéné à résister aux séismes du SAP et à tempérer ses pulsions. Il y a lieu de soutenir le parent aliéné pour lui permettre de ne pas réagir symétriquement au rejet de l'enfant, de lui permettre l'intervention d'un tiers (ami, professeur..) pour le valoriser. Le parent aliéné peut ainsi inculquer à l'enfant la neutralité, c'est-à-dire le droit d'entretenir une relation saine avec les deux parents et à développer une pensée indépendante. Mais le parent aliénant ne collaborant jamais aux processus thérapeutiques, pour les raisons diagnostiques évoquées plus haut, il s'oppose régulièrement aux prises en charge de toute nature en ne présentant pas l'enfant aux séance de thérapie, ou en le convaincant que les interventions thérapeutiques sont injustifiées.

Pour les auteurs cités, l'intervention judiciaire est donc indispensable après expertise psychiatrique ou psychologique. La question du changement de garde est l'élément le plus controversé de la prise en charge de ce phénomène. Le parent gardien ayant le pouvoir, ou du moins un pouvoir reconnu par la loi que n'a pas l'autre parent, il peut décider d'en abuser ou non. C'est pourquoi la garde alternée contribue, pour certains auteurs, à apaiser les effets du SAP puisqu'elle instaure dans la loi l'égale légitimité des deux parents quant au temps éducatif et relationnel à l'égard de l'enfant. Les spécialistes prônent également la mise en place de sanctions pénales sévères à l'égard du parent aliénant, lorsque l'expertise démontre la présence du SAP, surtout en ce qui concerne les fausses accusations d'inceste ou d'abus en tout genre. La menace de sanctions joue un rôle structurant, et son absence laisse libre court à toutes les dérives de la part du parent aliénant. Dans les pays de l'Europe et de l'Amérique du Nord, le SAP, reconnu officiellement comme une violence psychologique comparable, dans ses effets aux abus sexuels, et dans son fonctionnement à l'emprise et à l'embrigadement des sectes, est passible de condamnations pénales (amendes, obligation de soin, annulation de pension alimentaire).

Du point de vue éthique, il est absolument clair que le syndrome d'aliénation parentale constitue une menace pour l'équilibre familial, l'identité de l'enfant et du parent aliéné, ainsi que pour la transmission généalogique. Il s'agit bien là d'un "meurtre symbolique", d'une mise à mort vivante du coeur" (Delfieu JM, op cité p 30). Ce syndrome induit une souffrance indicible et beaucoup plus répandue qu'on ne le croit, détruit les piliers des relations familiales, tant filiales que parentales, porte atteinte aux droits les plus fondamentaux d'un parent d'élever ses enfants dans l'affection, la protection et la guidance, de transmettre à sa descendance la fierté de sa lignée et la joie d'être au monde. Il s'appuie sur des fonctionnement psychiques pervers que les lois actuelles sont encore trop souvent impuissantes à déjouer et à pénaliser, les parents aliénants étant passés maîtres dans l'art de tromper juges, travailleurs sociaux, experts en tout genre et forces de l'ordre, par l'affichage d'une morale emblématique et intouchable au nom de l'intérêt de l'enfant. Modèles vertueux et subtils dialecticiens, ils n'appartiennent pas uniquement aux populations fragilisées par les drames de l'histoire ou des injustices sociales, mais font au contraire souvent partie des professions des secteurs tertiaires et des services, requérant un assez haut niveau scolaire derrière lequel ils se parent pour masquer leur nocivité.

Bien qu'il y ait des raisons de penser que le conflit de loyauté entre deux parents ait toujours existé pour beaucoup d'enfants et dans de nombreuses familles à des degrés d'intensité divers, le fonctionnement pervers des parents aliénants fait florès et s'installe rapidement de nos jours dans une société où les liens familiaux ont tendance à subir un éclatement psychologique et géographique accru. L'isolement par rapport aux membres de sa lignée fragilise l'individu et constitue un terrain psychologique qui facilite la destructivité perverse. On imagine mal le SAP s'installer dans des familles claniques où la solidarité est acquise et manifestée sans équivoque par les grand-parents et la fratrie avunculaire envers les parents après leur séparation conjugale.

Pour rejoindre le point de vue de M F Hirigoyen (1998 op cité) il y a lieu de proposer trois pistes d'action indispensables à mettre en oeuvre simultanément: résister psychologiquement, agir, et judiciariser le phénomène.

- résister psychologiquement. Le parent aliénant cherchant perpétuellement le conflit en installant des enjeux sur tous les domaines du quotidien, il y a lieu de garder une attitude déterminée et imperturbable, et de répondre le moins possible à l'appel de la violence. Il est conseillé de noter chaque événement manipulatoire pour se référer à une chronologie des faits et des arguments. Parent et enfants aliénés doivent bénéficier d'un soutien psychologique afin que soient préservés la légitimité, la dignité de leur lien et leurs ressources propres (banque de souvenirs, partage de moments constructifs et éducatifs qui nourrit l'authenticité de la relation).

- agir. Il faut sortir de l'isolement affectif qui est le terreau sur lequel agit la violence perverse. Faire intervenir des tiers institutionnels et collectiviser le savoir sur cette violence par l'intermédiaire d'associations, de professionnels ou de la presse, est une réaction conseillée, voire indispensable.

- judiciariser. Le SAP étant une violence reconnue et une maltraitance psychologique, tant pour l'enfant aliéné que pour le parent qui le subit, il est indispensable de la faire reconnaître par des expertises psychiatriques ou psychologiques auprès de professionnels agréés par les tribunaux et le Ministère public. La saisie des instances compétentes (juges des affaires familiales, juge des enfants) est une étape indispensable à la mise en route de procédures juridiques qui introduiront la loi comme tiers social dans le fonctionnement pervers, et constitueront la base symbolique sur laquelle s'appuyer pour endiguer un processus fondamentalement structuré sur le mode totalitaire.

La famille, au sens des sociétés européennes, est une institution sociale où se vivent et se reproduisent des enjeux de reproduction généalogiques, générationnelles, identitaires et éthiques. En les transformant en haine et en rejet, le SAP s'attaque précisément à ces transmissions et détruit l'affiliation et la filiation par des mises à mort symboliques de parents aliénés en s'attaquant aux liens autrefois normaux et aimants qu'ils entretenaient avec leurs enfants. Il apparaît très souvent dans des familles recomposées qui, par leur bipolarité référentielles pour l'enfant, constituent souvent des clans entretenant entre eux, une guerre sans fin. Pour l'enfant, il s'agit ni plus ni moins de la mise à mort des bases symboliques et identitaires sur lesquelles il devait se construire. Loin d'être une simple "formule" nouvelle de concevoir la vie de famille, la famille recomposée donne souvent au parent aliénant le cadre imaginaire de son théâtre d'opérations de piratage et les munitions argumentaires dont il se nourrit, et prépare très souvent des terrains psychologiques fragilisés propices à l'apparition de l'aliénation parentale. Idéalement, tout enfant subissant une séparation parentale devrait être considéré comme potentiellement fragilisé et faire l'objet d'une surveillance psychologique.

Un vide juridique profond existe dans la loi qui ne permet pas de lisibilité claire du SAP en tant que phénomène familial et fonctionnement psychologique particulier. Les juges repèrent évidemment ces "enfants otages" et sont de moins en moins dupes des stratégies instrumentales dans lesquelles les entraînent les parents aliénants. Néanmoins, dans une société qui travaille à établir les bases éthiques des domaines de l'action humaine, il est absolument fondamental de reconnaître, en France tout au moins, le SAP comme violence familiale avérée dans la loi et la formation des juges, avec des outils précis de détection et un arsenal judiciaire et pénal adéquat.

Les instances comme la Cour Européenne des Droits de l'Homme et le Parlement Européen sont déjà saisies par des particuliers ou des associations ("SOS Enlèvement Internationaux d'Enfants" http//www.seie.org) déjà instituées pour aider les parents victimes d'enlèvements d'enfants par leurs conjoints vers l'étranger. Le SAP étant un rapt psychologique d'enfant, il constitue une atteinte au droit inaliénable des parents et des enfants de garder, au delà de la séparation ou du divorce, un lien parental et filial intègre, structurant et, finalement, sacré."

Tag(s) : #SAP c'est quoi ?
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